Être pharmacien en Espagne

Être pharmacien en Espagne
Si la profession pharmaceutique existe bien-sûr dans tous les pays, les missions qui lui sont confiées varient. Qu’en est-il chez nos voisins espagnols ?

Fran Baena Garcia, récemment installé dans le centre de Grenade, en Andalousie, raconte son quotidien et le fonctionnement global du système de santé de son pays.

  • Quelles sont les grandes règles qui régissent la pharmacie d’officine en Espagne ?

Toutes les officines – on en compte un peu plus de 22 000 sur l’ensemble de l’Espagne - sont soumises à la même législation et aux mêmes normes sur tout le territoire national, même si des adaptations sont possibles en fonction des autonomies régionales. [Comme en France, NDLR], seul un pharmacien diplômé peut être titulaire et propriétaire d’une officine et chaque pharmacien ne peut être titulaire ou cotitulaire que d’une seule pharmacie. Nous avons également des critères à respecter pour l’implantation des officines : par exemple, depuis la loi du 25 avril 1997, une distance de 250 mètres minimum est imposée entre chaque.

 

  • Le réseau de pharmacies est-il homogène sur tout le territoire ?

Le maillage pharmaceutique espagnol est l’un des plus denses d’Europe. Même s’il existe ici ou là des zones rurales en dépopulation qui rencontrent des difficultés d’accès aux soins, il n’y a pas réellement de problème d’accès aux médicaments. C’est d’ailleurs plutôt l’inverse qui se produit dans les grandes villes car, avant la loi de 1997, cette contrainte de distance minimum entre les officines n’existait pas. On se retrouve donc avec des centres urbains où sont concentrées énormément de pharmacies.

 

  • Lors d’une délivrance, qui paye quoi ?

Chaque assuré paye un reste à charge sur le médicament en fonction de son niveau socio-économique selon un système appelé « copago ». Ainsi, un salarié qui perçoit annuellement moins de 18 000 euros paie directement 40 % du coût de ses médicaments, 50 % si sa rémunération se situe entre 18 000 et 100 000 euros et 70 % au-delà de cette tranche. Pour les retraités, le système est capé et découpé en fonction des mêmes critères de rémunération avant la cessation d’activité : ainsi, ceux de la première tranche ne débourseront au maximum que 8,23 euros par mois, 18,52 euros pour ceux de la deuxième et 61,75 euros pour la dernière. Tout ce qui est au- delà est pris en charge par l’équivalent de votre Sécurité sociale.

 

  • Les officinaux proposent-ils des services de prévention ou d’accompagnement des patients ?

Les pharmaciens espagnols sont invités à participer aux différentes campagnes de santé publique, comme l’accompagnement à l’arrêt du tabac ou l’amélioration de l’observance. Dans la plupart des cas, des formations sont dispensées par les collèges de pharmacie [l'équivalent des ordres régionaux français, NDLR]. Certaines de ces missions sont rémunérées, d’autres non. En ce qui me concerne, j’ai par exemple acheté un holter cardiaque : il s’agit d’un petit boitier qui permet d’enregistrer le rythme cardiaque d'un patient sur une courte ou plus longue durée afin de détecter ses éventuelles anomalies. Je peux donc proposer à mes patients un monitoring ambulatoire de la pression artérielle pendant 24 heures. En quatre ans, je n’ai réalisé qu’une petite quinzaine de ces prestations ce qui peut sembler peu par rapport à l’investissement dans le matériel, mais je trouve important de pouvoir proposer à ma patientèle ce type de services supplémentaires. Je mets également à disposition des patients qui le souhaitent un service de préparation des doses à administrer sous forme de pilulier. Enfin, je suis équipé pour mesurer la glycémie ainsi que le cholestérol total. Tout cela procède de la même idée : fournir à mes patients un ensemble, le plus complet possible, de services de suivi de leur santé.

 

  • Êtes-vous autorisés à vacciner ?

Non, les pharmaciens d’officine espagnol ne sont toujours pas autorisés à vacciner. J’ai suivi, comme énormément de mes confrères, une formation pour pouvoir vacciner contre la Covid et prêter main-forte au système de santé au moment où il était le plus débordé. Notre participation était alors réclamée par de très nombreuses personnes. Malheureusement, malgré quelques expérimentations dans des pharmacies pilotes de Madrid, les pressions des sociétés de médecins et d’infirmiers ont été tellement fortes qu’elles ont fini par avoir raison de la loi, qui n’est jamais passée. Quoi qu’il en soit, j’ai ma certification et je me tiens prêt au cas où nous serions finalement autorisés à procéder aux injections anti-Covid. Pour le moment, un pharmacien espagnol ne peut pratiquer aucune vaccination. Le sujet a évidemment été mis sur la table car les centres de santé sont saturés et les listes d’attente interminables.  Je regrette que cette opportunité de déléguer cette tâche aux pharmaciens n’ait pas été saisie, alors que l’intérêt général est de désengorger le système. Au plus fort de la pandémie,  nous étions pourtant en première ligne pour aider au mieux les patients, mais ce que ce que nous avons alors démontré n’a pas été valorisé. De manière générale, en Espagne, le pharmacien est cantonné à son rôle de dispensateur de médicaments et rien n’est concrètement fait pour exploiter l’ensemble de ses compétences. Beaucoup de belles paroles sont prononcées en ce sens, mais quand vient l’heure de passer à l’acte, personne ne veut se mouiller. Nous manquons de considération et ne sommes pas reconnus comme des professionnels de santé à part entière. En dehors des coups de téléphone que nous passons parfois aux médecins pour aider certains de nos patients à trouver une consultation rapidement parce qu’ils ont absolument besoin d’un traitement, nous n’avons quasiment aucune interaction avec les prescripteurs. La seule prérogative qui nous a récemment été accordée est la possibilité de suspendre, de manière préventive, une ordonnance électronique sur notre logiciel de gestion officinale dès lors que nous détectons une anomalie.

 

  • Quelle est l’ampleur du phénomène de ruptures de stock de médicaments en Espagne ?

Si je consulte mon logiciel, à l’instant il me manque près de 70 références, et la situation ne fait qu’empirer. Je pense, par exemple,  à cinq de mes patients qui, dans les 15 jours, ont absolument besoin de sémaglutide [un médicament prescrit aux patients qui souffrent d’un diabète de type 2, NDLR]. Il me manque des antibiotiques en présentation pédiatrique, des produits destinés aux patients dénutris, etc. Dans ce contexte, nous nous servons beaucoup d’une petite application, Pharmahelp, ouverte à toutes les pharmacies qui le souhaitent. Elle nous permet de savoir, dans un rayon d’une quinzaine de kilomètres, si une spécialité qui nous fait défaut pour l’un de nos patients est disponible dans une autre officine à même de la lui mettre de côté. C’est un bon exemple de ce qui fonctionne lorsque nous mutualisons nos forces et que nous oublions une minute nos intérêts particuliers.

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