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Dérives sectaires : la santé en danger

Dérives sectaires : la santé en danger
Avec la crise sanitaire liée au Covid-19, les dévoiements dans le domaine de la santé ont connu une forte hausse. Les soignants tirent le signal d’alarme.

Si les dérives sectaires dans le domaine du soin sont connues depuis longtemps, la crise liée au Covid-19 a mis un coup de projecteur sur ce phénomène en croissance. Les médecines alternatives constituent une majorité des cas rapportés dans le secteur de la santé. « En 2021, la santé reste un sujet de préoccupation majeure avec 744 saisines traitées sur un total de 4 020 [en hausse de 33,6 % en un an] », décrit ainsi la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) dans son rapport annuel publié en novembre 2022. Alors qu’ils sont déjà impressionnants, ces chiffres sont très probablement sous-évalués. « Il existe une grande omerta des patients autour de ce phénomène, décrit le professeur Grégory Ninot, codirecteur de l’Institut Desbrest d’épidémiologie et de santé publique à Montpellier. Les statistiques sur ce sujet sont donc toutes incertaines. » 

Des victimes qui s’isolent

Pascale Duval, coordinatrice et porte-parole de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi), estime qu’une personne se retrouve sous influence lorsque l’adhésion à un mouvement, notamment en lien avec le bien-être ou la santé, entraîne une « triple rupture ». « Une première avec la personne elle-même et ses croyances, à travers un changement du mode de pensée à l’égard de la santé, souvent caractérisé par l’utilisation d’une seule voie thérapeutique et un rejet de la médecine conventionnelle », décrit-elle. La deuxième rupture est celle avec l’environnement et notamment les proches : « Les victimes préfèrent rompre ces relations que de devoir s’expliquer sur leurs choix. » Finalement, l’emprise provoque généralement une rupture avec la société, à cause de conflits avec les institutions, « ce qui a été notamment observé avec le refus de vaccination en parallèle du pass vaccinal en France », souligne Pascale Duval. Dès 2013, le Sénat alertait dans un rapport sur les conséquences de ce phénomène, constatant que « le corps et la santé sont omniprésents dans les conceptions des mouvements susceptibles de dérives sectaires » menant parfois à de « mauvais traitements qui dégradent l’état physique et mental » ou encore « une privation de soins ». Si ces problématiques sont les plus évidentes, il en existe bien d’autres : mise en danger d’autrui, abus sexuels, escroqueries, abus de faiblesse, exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie… 

Médecine non conventionnelle

Les dérives dans le domaine de la santé concernent l’intégralité du système de soins, mais la grande majorité d’entre elles se retrouvent dans le grand fourre-tout des médecines dites alternatives. En effet, près de « 70 % des saisines concernent les pratiques de soins non conventionnelles telles que la naturopathie, le reiki, la médecine nouvelle germanique, etc. », note la Miviludes dans son rapport. « Les dérives sectaires dans la santé se divisent en deux principaux pôles. L’un religieux où la maladie et le soin sont liés à une puissance supérieure représente environ 25 % des cas. L’autre qui est regroupé sous l’appellation “New Age” représente les 75 % restants », souligne Pascale Duval. Si elles servent souvent de base aux dérives, ces pratiques du bien-être entraînent aussi des problématiques similaires. « Il existe une confusion entretenue par de nombreux acteurs, dont des professionnels de santé, entre ce qui relève de la médecine et de la science et ce qui n’en est pas », s’indigne la porte-parole de l’Unadfi. L’une des raisons pour lesquelles ces pratiques prennent de l’ampleur est la fréquence de plus en plus importantes des communications à ce sujet que l’on retrouve sur les réseaux sociaux, les plateformes vidéo ou les sites internet. L’ensemble de ces propos favorise la déconsidération de la médecine conventionnelle. 

Au-delà des dérives sectaires

Sur fond d’espoir de guérison, une multitude de pratiques et de praticiens se développent hors cadre purement médical et peuvent perturber le parcours de soins, notamment parce que leurs promoteurs n’ont en réalité pas de compétences suffisantes en santé. « Par exemple, un complément alimentaire peut toucher le même cytochrome que certaines chimiothérapies et réduire ainsi leur efficacité, illustre le chercheur. À l’opposé, il existe des interventions non médicamenteuses (INM) bénéfiques et sûres qui devraient être intégrées dans les parcours de soins. » Parmi elles figurent par exemple la psychothérapie, les thérapies assistées par l’animal, la physiothérapie, les programmes d’activité physique, les préparations phytothérapeutiques, les compléments alimentaires…  « Une labellisation des protocoles de bien-être/santé est aujourd’hui essentielle », plaide Grégory Ninot, également fondateur et président de la Société savante des INM, lancée en octobre 2021. L’objectif de cet organisme est « d’accélérer la recherche sur les INM afin qu’il y ait un processus standardisé de validation et de mise sur le marché, comme cela a été le cas pour les médicaments il y a 60 ans ». Un référentiel pourrait être construit en accord avec l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et la Haute Autorité de santé (HAS), pour cadrer les pratiques et se prémunir contre les dérives.

Le pharmacien en soutien

Du côté des pharmaciens, il est clair que la vigilance est de mise. Ils ont d’une part un rôle à jouer dans la prévention des risques d’interaction entre médicaments et produits qui seraient conseillés par de supposés hygiénistes ou autres naturopathes, selon le titre revendiqué. C’est ainsi qu’au moindre doute, il est possible de les interroger sur la pertinence d’un produit proposé même en dehors du circuit officinal : l’analyse de la composition par son œil expert vous permettra d’en savoir plus sur l’intérêt réel d’un produit et sur les risques éventuels qu’il pourrait faire courir à votre santé. Mais les officinaux ont plus largement la capacité d’alerter les patients sur la dangerosité de pratiques que ces derniers évoqueraient au comptoir : leur regard professionnel, à la fois sur les pathologies et les thérapeutiques proposées, peut s’avérer très utile pour démasquer les arnaques.

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