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Faut-il couper le frein de langue des bébés ?

Faut-il couper le frein de langue des bébés ?
Les soignants alertent sur la fréquence excessive des coupures du frein de langue, un geste chirurgical dont aucune étude ne démontre l’intérêt.

Des difficultés dans l’allaitement ? Des douleurs importantes au niveau des seins chez la jeune maman qui allaite ? Des tensions supposées chez le bébé ? L’explication semble toute trouvée pour certains praticiens : ce serait à coup sûr le frein de langue du nourrisson, trop court ou trop épais, qui expliquerait toutes les difficultés rencontrées par le couple maman-bébé. Et il faudrait le couper pour rétablir une succion normale et enfin permettre un allaitement sans douleur. Mais qu’en est-il ?

Un frein restrictif, pas forcément problématique

Le frein, c’est à dire la bande de tissu fibreux située sous la langue, est différemment implanté selon les personnes. Il peut être qualifié de « restrictif » lorsque sa position gêne les mouvements de la langue. Cependant, selon l’Académie de médecine, « si un frein de langue restrictif est parfois reconnu comme l’une des causes de douleurs mamelonnaires et d’arrêt précoce de l’allaitement, il est loin d’en être la cause la plus fréquente ».

Alors comment expliquer que les professionnels de santé constatent une « augmentation spectaculaire, en France et dans le monde » des sections, totales ou partielles, de ce frein à l’aide de ciseaux ou de lasers ? Toujours selon l’Académie de médecine, « cette augmentation est d’autant plus surprenante que trois recommandations nationales et internationales récentes ainsi qu’une revue Cochrane [reconnue comme fournissant les preuves du plus haut niveau en matière de soins de santé fondés sur des données probantes, ndlr] ont conclu au manque d’études scientifiques de qualité concernant cette pratique ».

Une balance bénéfice-risque critique

L’Académie rappelle que, suite à ce geste, des complications peuvent survenir, même si elles restent rares : hémorragies, lésion collatérale tissulaire, obstruction des voies respiratoires, refus de tétée, aversion orale, infection, augmentation de la durée de l’allaitement en post-chirurgie. Vingt-quatre sociétés savantes, médicales, chirurgicales, paramédicales, collèges professionnels et associations (telles que le Collectif interassociatif autour de la naissance CIANE, la Coordination française pour l’allaitement maternel, l’IPA (Information pour l’allaitement), mais aussi l’association française d’ORL pédiatrique (AFOP), la Société française de chirurgie orale, la Société française de pédiatrie (SFP)…) avaient déjà alerté le grand public en janvier 2022, dénonçant des « pratiques abusives ». Reprenant cet appel à plus de vigilance, l’Académie de médecine s’interroge sur le sérieux des praticiens travaillant en réseau sur le territoire hexagonal et proposant, fréquemment à des tarifs excessifs, de pratiquer cette intervention en vue d’améliorer le déroulement de l’allaitement, « ou pire de la pratiquer à titre préventif ». Émettant  « les plus grandes réserves quant à l’intérêt et l’innocuité de ce geste invasif à risque d’effets secondaires », l’Académie de médecine a rédigé les recommandations suivantes :

1. En l’absence de difficultés d’allaitement, la présence d’un frein de langue court et/ou épais ne constitue pas en soi une indication de frénotomie, qui est un geste agressif et potentiellement dangereux pour les nouveau-nés ou les nourrissons et ne doit pas alors être pratiqué.

2. En présence de difficultés d’allaitement, quelles qu’elles soient, une démarche diagnostique rigoureuse doit être réalisée par des professionnels de formation universitaire, ou ayant une formation agréée officiellement en allaitement, respectant une médecine basée sur des preuves, prenant en compte l’état général global de l’enfant complétée d’une évaluation rigoureuse anatomique et surtout fonctionnelle de la succion/déglutition de l’enfant. La frénotomie, restant exceptionnelle, devra être décidée en lien avec le médecin traitant ou le pédiatre.

3. Une frénotomie aux ciseaux peut être indiquée après information des parents sur le rapport bénéfice/risque, à condition qu’il existe un frein lingual antérieur court et/ou épais et uniquement après échec des mesures conservatrices non chirurgicales classiquement mises en place. Ce geste est réalisé avec ou sans anesthésie de contact, remise au sein immédiate et prescription d’un antalgique. Après la frénotomie, aucun geste intrabuccal n’est nécessaire dans les jours suivants.

En parallèle, elle recommande que « la préparation à l’allaitement et la formation des professionnels soient améliorées afin d’accentuer la prise en charge conservatrice et non chirurgicale en cas de difficultés ».

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