Toutes les rubriques / Conseils de pharmacien / Santé publique / L’ampleur de l’usage détourné de kétamine inquiète

L’ampleur de l’usage détourné de kétamine inquiète

L’ampleur de l’usage détourné de kétamine inquiète

par Sergey

Selon les données d’addictovigilance, l’usage détourné de cet anesthésiant prend des proportions jamais égalées jusqu’à présent.

Pharmacologues et chercheurs sont préoccupés par le « virage inquiétant » pris par l’usage détourné « croissant » et « sans précédent » d’une molécule utilisée en milieu médical comme anesthésiant, la kétamine, ainsi que des risques qui lui sont associés. Ils l’ont exprimé à l’occasion du congrès de la société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT) qui s’est tenu fin juin.
En effet, sur la base de données de surveillance du réseau français d’addictovigilances (rapports effectués à la demande de l’Agence du médicament), des enquêtes sur les décès en lien avec l’abus de médicaments et de substances (DRAMES), et du programme de surveillance des substances psychoactives en France (baptisé Oppidum), ils ont constaté que le nombre de signalements spontanés d’usage détourné de la kétamine avait plus que doublé entre la période 2017-2020 (159 signalements) et la période 2020-2023 (372). De plus, 61% de ces signalements étaient des cas graves.

Récréative avant tout

La kétamine est un médicament anesthésique et analgésique (qui diminue ou supprime la sensibilité à douleur) appartenant à la classe des psychotropes, utilisé en médecine depuis les années 1970. Cette molécule possède également des propriétés hallucinogènes et dissociatives qui se manifestent par exemple par la sensation de sortir de son propre corps, un état de rêve, de l’amnésie, etc. C’est la recherche de ces effets qui explique qu’elle a commencé à se répandre de façon détournée dans les milieux de la musique techno à la fin des années 1990. Depuis 2010, les observateurs notent qu’elle se diffuse auprès d’autres publics. Hors usage médical, elle est néanmoins considérée comme un stupéfiant.

Chiffres en croissance

Selon les données d’addictovigilance, la moyenne d’âge des consommateurs était de 26 ans, et concernait dans deux cas sur trois des hommes. Leur prise était régulière (hebdomadaire dans un cas sur deux, et quotidienne dans 39% des cas), et leur fréquence d’usage en augmentation : entre 2020 et 2023, la part des prises hebdomadaire a augmenté de 11 points (de 17 à 28%), et celle des prises quotidiennes de 6 points (de 13,6% à 19,6%). Une augmentation progressive du nombre de consommateurs réguliers (quotidiens et hebdomadaires) est aussi observée. Le recours à la kétamine avait lieu le plus souvent dans un but récréatif (dans 55% des cas), « auto-thérapeutique » (37% des cas), et à des fins de chemsex (7% des cas). L’utilisation par voie nasale était la plus fréquente, et en hausse (76% en 2020 versus 82% en 2023). Par ailleurs, huit décès en lien avec l’usage de kétamine ont été identifiés en 2020-2023, contre trois en 2017-2020.

Complications sanitaires

Les troubles psychiatriques étaient au nombre des complications les plus fréquemment retrouvées à la suite de la consommation de kétamine (un tiers des cas). Elles sont suivies des troubles du système nerveux central (un cas sur cinq), des troubles de l’usage (dépendance et craving, c’est-à-dire désir urgent lié au manque) qui concernent 18% des cas. Ces troubles sont en forte augmentation (ils ne concernaient qu’un cas sur 10 entre 2017 et 2020). Les troubles urinaires (cystites) sont aussi en progression (passage de 3 à 8% entre la période 2017-2020 et 2020-2023). Par ailleurs, les experts relèvent que les saisies de kétamine réalisées en France et en Europe « n’ont jamais été aussi élevées » : plus de 2,5 tonnes en 2022.

Publications Similaires