La Société française de pédiatrie (SFP) s’est positionnée « clairement » le 25 avril dernier « pour contre-indiquer la pratique de l’ostéopathie chez les nouveau-nés et les nourrissons en l’absence d’évaluation d’efficacité, et surtout devant les risques auxquels sont exposés les nouveau-nés qui font l’objet de ces manipulations, au mieux inutiles ». L’Académie de médecine avait ouvert la voie en décembre dernier en dénonçant cette pratique qu’elle jugeait infondée. Désormais, un pas a été franchi puisque la SFP va jusqu’à plaider pour sa contre-indication tant « la balance bénéfice-risque interroge à cet âge de la vie spécifiquement ». Et, trois jours plus tard, le 28 avril, le Syndicat de la médecine manuelle ostéopathie de France (SMMOF) lui a emboité le pas, tout comme les Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, en co-signant ce même communiqué appelant à contre-indiquer l’ostéopathie néonatale.
Est-ce raisonnable ?
Les pédiatres dénoncent « un concept dogmatique sans fondement scientifique ». Le ton est incisif : « Est-ce bien raisonnable de faire croire qu’on rétablit des flux cérébraux, qu’on repositionne les os du crâne en posant ses mains expertes de chaque côté de la tête (voire entre tête et sacrum) ? ». Et d’ajouter : « L’ostéopathie crânienne reste un concept trop dogmatique sans explication compatible avec une vraisemblance scientifique. Les notions fausses de sutures déformables, d’os crâniens qui bougent ou encore de mouvement respiratoires primaires, de remettre dans l’axe ou restaurer la symétrie constituent une sémantique de nature à faire adhérer un public non médicalisé à un concept non démontré ».
Confiance aveugle
La société savante s’inquiète d’autant plus qu’elle sait ces pratiques très populaires. « La France est aujourd’hui un des pays qui consomme le plus de séances d’ostéopathie chez le nourrisson », étaye-t-elle. En effet, « le nombre d’ostéopathes non professionnels de santé [par opposition à ceux qui sont par exemple kinésithérapeutes ou médecins, NDLR] a augmenté de façon majeure en France ces dernières années » et « d’après le registre des ostéopathes », nous sommes passés de « 20 000 ostéopathes en 2014 à près de 40 000 en 2024 ». Un succès qui, selon les pédiatres, s’explique par deux phénomènes : premièrement, le fait que « les nombreuses allégations autour des vertus de ces pratiques sont malheureusement largement relayées via certains professionnels de santé, dès la grossesse et en maternité ». Deuxièmement, le fait que « de très nombreux témoignages publiés sur les réseaux sociaux font l’apologie de cette pratique pour les nourrissons avec des témoignages utilisant pourtant des arguments de type publicitaire ne reposant sur aucune évaluation objective ni scientifique ». Ainsi, des parents tout simplement en quête de réassurance et de soulagement face à des signes bénins et courants, comme l’installation difficile de l’allaitement, la constipation, les « coliques », les pleurs, s’orientent vers cette pratique à la mode de l’ostéopathie néonatale. « L’inquiétude parentale grandissante dans une société anxiogène ainsi que le manque de temps et de disponibilité des interlocuteurs professionnels de santé pour rassurer, expliquer le développement naturel du nourrisson, accompagné la parentalité, ont sans doute joué un rôle pour que les jeunes parents confient ainsi leurs bébés à des pratiques d’ostéopathie », ajoutent les pédiatres.
Et la science dans tout ça ?
La SFP demande « un niveau d’exigence pour l’évaluation des pratiques d’ostéopathie adapté à l’importance de la santé des nourrissons » et estime que « cela ne peut passer que par la réalisation d’études qui permettront de répondre aux questions de l’utilité, de l’efficacité et de la sécurité des pratiques d’ostéopathie ». En décembre déjà, l’Académie de Médecine préconisait « à l’instar des recommandations de l’Inspection générale des affaires sociales dans son rapport de 2021, que ces pratiques soient évaluées de façon objective par des spécialistes médicaux et chirurgicaux de la périnatalité avec une surveillance des effets indésirables des pratiques d’ostéopathie chez le nouveau-né afin de renforcer la sécurité des soins aux nouveau-nés ».
Des résultats décevants
En attendant, deux rares études françaises contrôlées et randomisées sur la pratique de l’ostéopathie néonatale ont été menées. En 2021, l’équipe de néonatologie du CHU de Nantes a rapporté les résultats de l’essai contrôlé randomisé NEOSTEO mené en maternité. Ce sont 128 nouveau-nés à terme et présentant des difficultés d’allaitement qui ont été inclus dans l’étude. Le critère de jugement principal, l’allaitement exclusif à 1 mois, était de 53 % dans le groupe avec ostéopathie et de 66 % dans le groupe témoin. Aucun bénéfice de l’ostéopathie sur l’allaitement n’était constaté dans cette étude, donc.
Une autre étude contrôlée randomisée a été publiée par l’équipe du CHU de Montpellier. Elle portait sur les manipulations précoces d’ostéopathie et la prévention de déformation du crâne. Cette fois, 101 nouveau-nés âgés de 3 à 10 jours ont été inclus soit dans un groupe « ostéopathie », soit dans un autre bénéficiant de « soins habituels ». Les séances de 20 à 40 minutes étaient réalisées jusqu’au 4è mois post-natal, moment choisi pour établir l’existence d’une déformation du crâne. Résultat : aucune influence des manipulations du crâne d’un nourrisson sur sa forme n’a été établie.
Ces deux études « n’ont ainsi pas démontré l’intérêt de cette technique qui ne devrait donc pas être indiquée la lumière de ces résultats », juge la SFP.
Une pratique coûteuse
Le communiqué conjoint de la Société française de pédiatrie (SFP), des Assises de la pédiatrie et du Syndicat de médecine manuelle ostéopathie de France (SMMOP) dénonce aussi le fait que l’ostéopathie pratiquée par des non-professionnels de santé, qui n’est pas prise en charge par l’Assurance maladie, représente une charge financière non négligeable pour les parents. Une séance coûte « autour de 60-70 euros » alors qu’une consultation de médecine générale, remboursée elle, coûte 30 euros. Ce coût aurait pu décourager les parents, mais les pédiatres expliquent que « certaines mutuelles santé incluent dans leur offre le remboursement de ces séances de bien-être ». Ce qui a « possiblement contribué à légitimer cette approche pourtant non médicale, non validée et non reconnue ». Une raison supplémentaire de clarifier la situation au plus vite vis-à-vis de ces pratiques populaires mais décriées par les sociétés savantes.