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Médicaments et médiatisation : l’Académie de Médecine est inquiète

Médicaments et médiatisation : l’Académie de Médec
Dans un rapport diffusé le 7 juin, l’Académie de Médecine explore la perception par le grand public des risques liés aux médicaments, ainsi que le rôle des médias et des réseaux sociaux à ce propos. Une critique salutaire.

Dans un long rapport sur la perception des médicaments et leurs risques associés, l’Académie de Médecine évoque largement les réseaux sociaux qui, selon elle, distordent la réalité scientifique et insufflent dans l’esprit collectif une défiance vis-à-vis des médicaments au nom de la naturalité.

Gilles Bouvenot, Pierre Le Coz et Yves Juillet, les auteurs du document, regrettent que les médias servent trop souvent de « caisse de résonnance » à des discours de méfiance systématique vis-à-vis des médicaments. Une méfiance qui prend appui sur des sujets sensibles comme le Médiator, la Dépakine, le Levothyrox, ou la peur panique de certains face aux vaccins anti-Covid à ARNm qui ont pourtant sauvé tant de vies.

Une défiance « minoritaire » mais « active et bruyante »  

Selon ce rapport d’expertise, la proportion de ceux qui alimentent « la défiance ou même l’hostilité » à l’égard des médicaments est clairement minoritaire, mais « active et bruyante sur les réseaux sociaux et surévaluée par les médias et les pouvoirs publics ». Ils citent l’exemple de la perception des vaccins anti-Covid : « La pandémie due au SARS-CoV-2 a confirmé combien la perception du risque médicamenteux par le public est instable, parfois peu rationnelle, combien sont nombreux et complexes les déterminants de cette perception et quel rôle de caisse de résonnance des peurs du public les médias peuvent jouer. »

Excès de précaution

L’un des ressorts de cette défiance semble être une propension à l’excès de précaution. Recourir à un médicament implique toujours de prendre en compte sa balance bénéfices-risques, en acceptant ce risque si les bénéfices lui sont supérieurs. Or, les académiciens soulignent une « tendance forte de notre société [à] accorder la primauté au risque, au détriment du bénéfice, dans l’appréciation d’une innovation technologique ». Alors que « l’arbre du risque cache souvent la forêt de l’efficacité ». Des personnes malades peuvent ainsi se retrouver avec des pertes de chances en interrompant ou en ne prenant pas correctement leur traitement.

Le mythe de la naturalité toute-puissante

Pour les experts médecins, cette tendance à un excès de précaution s’explique par trois paramètres : « la valorisation du naturel au détriment de l’artificiel », « le relativisme culturel » et « l’influence numérique et la portée du témoignage vécu propagé par les réseaux sociaux ».

Le scepticisme s’appuie sur une croyance quasi-mystique en la naturalité. « Dans une société hantée par la crise écologique, les croyances dans les vertus d’un « néohygiénisme » et les bienfaits du respect de la nature sont particulièrement vivaces. Même si, aujourd’hui en France, les courants d’idées naturopathes tels que l’anthroposophie n’ont pas la même influence que dans d’autres pays, les produits à base de plante jouissent d’une image parfois plus gratifiante que les médicaments alors que pour nombre d’entre eux le principe actif est extrait d’une plante », lit-on.

Médecines non-conventionnelles et dangers pour les malades

Ces croyances font le succès des médecines non conventionnelles. « Sur la base de ce type d’idées préconçues, le médicament est perçu comme un objet impur et factice, un produit dérivé de l’industrie chimique qui vient en quelque sorte « polluer » l’intérieur d’un corps supposé originairement pur. Cette perception négative est à l’origine de défauts d’observance ou de pratiques d’automédication. Ainsi, certains patients révisent leur posologie ou raccourcissent les durées de traitement (avec risque d’antibiorésistance en cas de traitement antibiotique) au motif qu’il n’est jamais bon de prendre « trop » de médicaments ou de s’en rendre dépendant », relèvent les experts.

A l’extrême, « le fait de « ne jamais prendre de médicaments » est brandi comme un mérite et socialement valorisé comme un indicateur de bonne santé ». Avec des aberrations : « Des malades atteints de cancer en viennent parfois à penser que ce sont les traitements qui les rendent malades et se tournent vers des thérapeutes alternatifs. » Et durant la crise Covid, « des patients sont décédés de peur que le vaccin leur inocule un corpuscule étranger risquant d’être plus dangereux que le virus lui-même », déplorent les auteurs du rapport.

Quelles solutions ?

Plutôt que d’être inféodés aux réseaux sociaux, les académiciens recommandent aux institutions scientifiques de s’en emparer « pour transmettre les informations scientifiques validées et les messages institutionnels et alerter par tous moyens les internautes sur le foisonnement des fausses informations et sur les biais cognitifs ». Et ils suggèrent aux médias de « délivrer et diffuser une information de qualité, prudente, contrôlée et indépendante des rumeurs, en faisant appel à des experts indiscutables, en privilégiant les données objectives par rapport aux témoignages subjectifs fondés sur l’émotion et les expériences individuelles ». Ils préconisent aussi à destination des jeunes générations une « politique pédagogique ambitieuse […] Une formation à l’esprit critique et une acquisition des bases de la culture du risque médicamenteux [qui] devraient être instaurée dès le collège ».

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