Quand se nourrir est un problème

Quand se nourrir est un problème
Les troubles de l’oralité toucheraient près d’un enfant sur quatre. Ils demeurent mal connus alors qu’ils peuvent perturber l’alimentation comme la prise de médicaments des petits patients.

L’apprentissage de l’alimentation est une longue route pas toujours tranquille, qui passe par des périodes où l’enfant est réticent à goûter de nouveaux aliments. « La néophobie alimentaire est une période normale dans le développement des enfants. Elle s’exprime généralement à partir de 18 ou 24 mois », explique Marie Poirette, orthophoniste spécialisée dans les troubles alimentaires pédiatriques. Cependant, pour certains enfants, cette phase de rejet peut devenir pathologique. On parle alors d’un trouble de l’oralité, également appelé trouble de l’alimentation pédiatrique. 

Sélectivité et peurs

Ce trouble va s’exprimer de différentes façons selon les enfants mais aussi, chez le même enfant, selon les périodes de sa vie. C’est la sélectivité alimentaire qui sera la plus fréquente. Dans ce cas, le patient n’accepte plus la nourriture d’une forme, d’une couleur, d’un même goût ou parfois rejette des catégories complètes d’aliments. En parallèle, une peur de la nourriture inconnue ou peu habituelle est souvent observée. « À ces deux critères s’ajoutent beaucoup d’autres symptômes variables comme des hypersensibilités », ajoute Marie Poirette, créatrice du site internet parent-equipe.com destiné à aider les petits patients et leurs familles.

Les troubles de l’oralité se développent dès la petite enfance et peuvent persister, plus ou moins intensément, à l’âge adulte. Les enfants concernés passent pour des petits mangeurs, puis avec l’âge les complications se renforcent. Dans les cas les plus graves, leur état peut se dégrader jusqu’à nécessiter une hospitalisation pour déshydratation ou sous-nutrition.

Un trouble méconnu

Bien que le trouble de l’alimentation pédiatrique soit officiellement reconnu depuis 2021, « certains professionnels de santé n’y croient toujours pas, préférant l’explication de l’enfant-tyran ou de l’enfant-roi », explique Marie Ruffier-Bourdet, ergothérapeute. Cela est très dommageable pour la détection et le suivi des jeunes patients. Or « La prise en charge précoce a un impact énorme sur l’efficacité des soins qui leur sont apportés », assure-t-elle. « Dans l’alimentation pédiatrique, tout se joue dans la première année de vie, période pendant laquelle de nombreuses évolutions dans les habitudes se produisent », complète Marie Ruffier-Bourdet. Ce qui explique que les enfants hospitalisés soient prédisposés aux troubles de l’oralité. « Prématurité, faible poids de naissance, malformation de la sphère orale ou de l’appareil digestif… Toutes ces pathologies demandant une alimentation artificielle ou du forçage alimentaire sont des facteurs récurrents à l’apparition d’un trouble pédiatrique de l’alimentation car l’on vient perturber la sphère orale du bébé », détaille Marie Poirette. Par ailleurs, près de 80 % des enfants atteints d’un trouble du spectre de l’autisme sont aussi concernés. Une proportion retrouvée dans certaines maladies génétiques rares. « Parfois, le déclenchement du trouble est très net pour les parents. Avant l’hospitalisation, tout allait bien et à la sortie, l’enfant ne mange plus, illustre l’orthophoniste. Mais bien évidemment, il existe aussi de nombreuses déclarations idiopathiques [dont on ne connaît pas la cause, ndr]. » S’il est difficile de connaître la réelle prévalence de ces troubles dans la population générale, une étude américaine publiée en 2000 chiffre à près de 25 % la part des enfants ayant rencontré ces troubles.

Parcours pluridisciplinaires

Heureusement, des parcours de soin existent. Ils se basent sur des thérapies de rééducation divisées en trois axes. Le premier : la désensibilisation de l’enfant, qui passe généralement par le jeu. « Ce travail sert à faire accepter au patient de manger l’aliment », précise Marie Ruffier-Bourdet, qui gère aussi le site Ergomums. Une approche sensorielle essentielle, mais bien souvent insuffisante. « Les troubles de l’alimentation pédiatrique entraînent aussi des difficultés motrices, il est donc nécessaire de rééduquer musculairement les lèvres, la langue et la mastication », ajoute Marie Poirette. La dernière étape consiste à intégrer des techniques alimentaires visant principalement à diversifier la nourriture. « L’accompagnement pluriprofessionnel a montré une plus grande efficacité avec des pédiatres, des ergothérapeutes, des diététiciens, des orthophonistes ou encore des psychologues. »

Mais les pharmaciens ont aussi une place à prendre. L’une des grandes difficultés des parents face à un enfant atteint d’un trouble de l’oralité est la prise médicamenteuse. « Certains me confient que leur enfant n’en prend tout simplement pas, les refusant ou les vomissant lorsqu’il est forcé », raconte Marie Poirette. Les officinaux peuvent aider en proposant différentes galéniques aux patients : sirops aux goûts différents, comprimés qui fondent dans un verre d’eau, gélules les plus petites possibles… « Je pense qu’il y a une occasion en or pour travailler avec les officines au développement de solutions face à ce problème », souligne de son côté Marie Ruffier-Bourdet. Plus encore, les pharmaciens ont toute leur place dans la veille et l’adressage de potentiels patients. « Le trouble étant encore peu reconnu, il peut être salvateur pour un parent de recevoir de l’aide d’un professionnel de santé qui puisse ne serait-ce que les informer sur l’existence du trouble. » 

En cas de doute concernant la relation de votre enfant à la nourriture, n’hésitez pas à en parler à un professionnel de santé formé. Votre pharmacien pourra vous orienter.

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