Toutes les rubriques / Conseils de pharmacien / Santé publique / Ruptures de stock sur les médicaments

Ruptures de stock sur les médicaments

Ruptures de stock sur les médicaments
En France, les médicaments figurent désormais en bonne place dans la liste des produits en pénurie. Quelles sont les raisons de cette situation ? Peut-on espérer inverser la tendance ?

Après les ruptures de stock de carburants et de moutarde, la France constate, avec étonnement et désarroi, que des médicaments pourtant courants et néanmoins essentiels peuvent également manquer. Les fortes tensions d'approvisionnement sur le paracétamol et l'amoxicilline focalisent ainsi toute l’attention, reléguant le problème des déserts médicaux ou l’arrivée de la grippe et d’une neuvième vague de Covid-19 à l'arrière-plan des préoccupations sanitaires de nos concitoyens. 

Des pénuries à répétition

Que l’analgésique et l’antibiotique les plus massivement prescrits puissent disparaître des tiroirs des pharmacies hexagonales est une désagréable surprise pour les patients. Au moins aussi difficile à encaisser que celle de subir de probables coupures de courant, en plein hiver, dans un pays dont le parc nucléaire est censé garantir son indépendance énergétique. Les pharmaciens, qui dénombrent une moyenne de 300 à 400 références actuellement manquantes, enchaînent les témoignages faisant état d’une situation critique les contraignant à utiliser tous les circuits possibles dans l’espoir de pouvoir récupérer, même en toute petite quantité, le ou les médicaments qu’ils ne sont plus en mesure de dispenser. L’exercice est bien entendu aussi stressant que chronophage puisqu’il faut appeler les grossistes, les laboratoires, contacter le prescripteur, souvent difficile à joindre lorsqu’il est hospitalier, tenter de trouver avec lui une alternative tout en essayant d’expliquer la situation au patient tout en le rassurant. Si la situation fait les gros titres dans les médias, elle résulte cependant d’un processus plus ancien. Cette impression de soudaineté du phénomène n’est en effet qu’un trompe-l’œil. De nombreux patients chroniques ainsi que l’ensemble de la communauté officinale savent bien que les tensions et ruptures de spécialités pharmaceutiques ne sont pas apparues aujourd’hui, même si une évidente tendance à la dégradation est observée.

Dans un communiqué de presse en date du 28 novembre 2022, l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds) le rappelle : « On note des pénuries en constante augmentation depuis dix ans. » Les données de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) corroborent cette dynamique négative. Le nombre de signalements de ruptures de stock effectives et de risques de ruptures, qui s’établissait à 89 en 2010, est passé de 438 en 2014 à 2 160 en 2021 et a donc été multiplié par 5 en l’espace de sept ans. France Assos Santé, l’organisation référente de représentation des patients et des usagers du système de santé, fait à ce propos état des résultats de plusieurs enquêtes associatives qui montrent qu’un Français sur trois a déjà été confronté à une pénurie de médicaments. Plus concrètement, 45 % des personnes touchées par ce phénomène « ont été contraintes de reporter leur traitement, de le modifier, voire d’y renoncer ou de l’arrêter », et 68 % des oncologues médicaux « considèrent que ces pénuries ont un impact sur la vie à 5 ans de leurs patients »

Une conjoncture complexe

A l’origine de cette situation très complexe figurent un ensemble de facteurs. Certains relèvent essentiellement de mécanismes économiques engendrés par des décisions politiques nationales en matière sanitaire et industrielle, d’autres sont liés à des éléments conjoncturels imprévisibles. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui sont mis en avant pour expliquer les tensions extrêmes sur les approvisionnements des officines françaises en paracétamol et amoxicilline. La pandémie de Covid-19 conjuguée à la guerre en Ukraine ont ainsi engendré une inflation générale inédite dans l’histoire récente de notre pays. Le coût des matières premières dans le monde a bondi pour s’instaurer, dans certains cas, à + 160 %. Idem pour les frais de transport (jusqu’à + 500 %) qui occasionnent des délais d’approvisionnement largement augmentés ainsi que pour le prix de l’énergie qui risque d’être prochainement décuplé pour de nombreuses usines pharmaceutiques situées en Europe. Les différents reconfinements en Chine n’aident par ailleurs pas la reprise de la production de molécules dans cette partie du monde où les débuts de la crise sanitaire avaient déjà entraîné de nombreuses fermetures d’unités de production. Même en cas de redémarrage, la complexité de ce type d’outil industriel nécessite un temps de latence de plusieurs mois avant de retrouver une cadence normale. Enfin, hormis les effets collatéraux du conflit ukrainien sur la hausse des prix de l’énergie, le pays envahi par la Russie était également jusqu’il y a peu un des grands pourvoyeurs mondiaux de flacons en verre, conditionnement indispensable à de nombreuses spécialités pharmaceutiques, avec sept usines réparties sur l’ensemble de son territoire. 

Une problématique historique

Pour de nombreux spécialistes de la question du médicament, la conjoncture actuelle favorise certes une aggravation des tensions et pénuries, mais n’explique en rien un problème qui trouve principalement sa source dans la fragmentation de toute la chaîne de fabrication. Au tournant du XXIe siècle, la majorité des laboratoires pharmaceutiques ont délocalisé leur production de principes actifs vers des pays à bas coûts, concentrant ainsi ce maillon principalement en Inde et en Chine. À l’heure actuelle, 60 % du paracétamol et 80 % de l’insuline sortent d’usines asiatiques. Plus parlant encore lorsqu’il s’agit de mesurer le risque engendré par cette concentration : seuls trois fabricants chinois produisent la trentaine de molécules de base nécessaires à l’élaboration des anticancéreux. Par ailleurs, l’augmentation de plus de 40 % de la demande mondiale en médicaments depuis les dix dernières années du fait de l’apparition de classes plus aisées dans l’ensemble des pays émergents a contribué à renforcer la pression sur le flux de fabrication. Cette dépendance mise en lumière par la pandémie de Covid-19 est dénoncée par certains qui fustigent la volonté des industriels de rogner sur les coûts de production au détriment de la santé publique. De leur côté, les représentants des laboratoires pharmaceutiques mettent en avant des politiques publiques qui, en France, font du médicament la principale variable d’ajustement du financement de la Sécurité sociale.

L’espoir de la relocalisation

Face à l’évidence de la multiplication des tensions et des ruptures d’approvisionnement de médicaments dans notre pays, la stratégie développée au sommet de l’État fait la part belle à la relocalisation. Le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé vouloir « développer un mécanisme de planification, de financement et d’organisation de la résilience industrielle française en matière de santé pour prévoir les crises à venir ». Figure emblématique de cette volonté de miser sur le « made in France », même si tout le monde s’accorde plutôt sur la pertinence de l’échelon européen, l’usine Seqens de production de paracétamol à destination du marché hexagonal devrait ouvrir ses portes en Isère début 2025. Un nouvel espoir pour renflouer les stocks de médicaments.

Publications Similaires